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ARCHIVÉE - Patrimoine documentaire des Autochtones

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Les soldats autochtones durant la Première Guerre mondiale

Par James Dempsey

Essai

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Les expériences d'après-guerre

La fin de la Première Guerre mondiale a été officialisée par la signature du Traité de Versailles en 1919. Les principaux objectifs des Alliés étaient d'établir les nouvelles frontières en Europe et d'obtenir la reconnaissance des droits de la personne et de l'autodétermination. On voulait atteindre les changements sociaux qui s'étaient produits dans les pays alliés, plus particulièrement aux États-Unis.

On a cru, durant un certain temps, que ces changements sociaux seraient aussi avantageux pour les nations indiennes du Canada lorsque la guerre serait terminée. Ils avaient déjà parcouru beaucoup de chemin seuls et ils espéraient évidemment que ces avancées se poursuivraient en temps de paix. Les recrues indiennes ont eu le droit de vote grâce à leur participation à la guerre; les Indiens ont démontré qu'ils pouvaient être des agriculteurs productifs grâce à leur travail dans le cadre du programme de grands efforts de production et ils ont aussi clairement démontré leur loyauté à la reine et au pays par leur soutien au fonds patriotique et à d'autres fonds de guerre.

Les soldats canadiens qui revenaient au pays après l'armistice de 1918 s'attendaient à retourner dans une société progressiste pour laquelle ils s'étaient battus et pour laquelle plusieurs avaient même perdu la vie. Ils avaient été exposés à toutes sortes de nouvelles idées européennes qui avaient ouvert leurs esprits et modifié leurs attentes. Les soldats indiens exprimaient aussi avec enthousiasme leur espoir de retrouver cette même égalité, cette responsabilité et ces mêmes possibilités au Canada. Malheureusement, seulement quelques mois après leur retour, de nombreux vétérans de guerre indiens ont constaté que rien n'avait changé. Ils étaient toujours à la merci des bureaucrates du gouvernement qui les traitaient comme des enfants irresponsables. Certains se sont fâchés, mais la plupart d'entre eux sont devenus amers et ont perdu tout espoir de voir ce monde meilleur pour lequel ils s'étaient battus atteindre les frontières de leurs propres réserves.

Le statut légal de la population indienne du Canada est demeurée une question irrésolue après la guerre. Même si de nombreux Indiens, dirigeants et membres du public, se battaient pour que l'on accorde le droit de vote aux Indiens en reconnaissance des importantes réalisations des soldats indiens au front, beaucoup de gens étaient inquiets et doutaient de leurs capacités. Même si le droit de suffrage des nations indiennes semblait être une occasion en or et une solution à la tutelle gouvernementale, les Indiens y voyaient aussi un danger pour leur patrimoine culturel. Ils croyaient que le gouvernement se servirait peut-être de l'octroi du droit de vote pour se libérer de ses responsabilités envers eux et les forcer à abandonner leur patrimoine culturel. Cette peur semblait d'autant plus fondée que le surintendant général adjoint des Affaires indiennes, Duncan Campbell Scott, voyait aussi la situation comme telle. Il disait que les Indiens devraient perdre leur statut légal sans leur consentement lorsqu'il croirait qu'ils étaient prêts :

Je crois qu'il serait dans l'intérêt d'une bonne administration si des dispositions étaient prises afin de permettre l'émancipation d'Indiens individuels ou de bandes individuelles sans la nécessité d'avoir leur consentement dans des cas où, à la suite d'une évaluation, on a démontré que la tutelle n'est plus favorable ni à l'Indien ni au public 11. [traduction]

Avant et après la guerre, les vétérans indiens s'attendaient à ce que le gouvernement du Canada reconnaisse leur contribution d'une manière tangible. Mark Steinhauer de l'agence de Saddle Lake en Alberta a d'ailleurs écrit, dans une lettre envoyée au surintendant général adjoint en 1916, ceci :

Nous aurons n'importe quoi du pays pour lequel nous nous battrons. Je veux savoir s'il serait possible que nous soyons affranchis et que nous devenions responsables de nos réserves lorsque la guerre sera terminée? Je ne crois pas qu'il soit juste que nous n'obtenions rien du pays pour lequel nous nous battons 12. [traduction]

Dans le même ordre d'idée, les vétérans de la bande de Peguis du Manitoba ont voulu savoir en 1919 ce qu'ils pouvaient espérer du ministère des Affaires indiennes en échange de leurs services à la guerre.

Ironiquement, Duncan Campbell Scott, dans une rédaction après la guerre sur les soldats indiens, a dit que certains changements viendraient, bien qu'il n'y voyait qu'une élimination du mode de vie et des coutumes traditionnels indiens :

Ces soldats qui ont été épanouis au contact du monde et des affaires extérieures, qui ont été mêlés à des hommes d'autres races et qui ont été témoins des multiples avantages et merveilles de la civilisation ne voudront pas retourner à leur ancien mode de vie indien. Chacun d'eux sera un missionnaire du progrès… Cette guerre aura hâté le jour, … où les vieilles coutumes, les cérémonies bizarres et pittoresques… deviendront désuètes tout comme le bison et le tomahawk et lorsque le dernier tipi des contrées sauvages du Nord sera remplacé par une maison de ferme moderne 13.[traduction]

Alors que les conditions de vie de la majorité des Canadiens s'étaient améliorées, ce n'était pas le cas des Indiens. À voir l'attitude du ministère des Affaires indiennes, quant aux questions administratives il était évident que le ministère agissait comme si la guerre n'avait jamais eu lieu et que rien n'avait changé. Lorsqu'un agent des Indiens s'est renseigné en 1922 au sujet du statut légal des vétérans indiens, J.D. McLean, le secrétaire du Ministère, a répondu que ces vétérans indiens étaient assujettis à la Loi sur les Indiens et avaient donc le même statut légal qu'avant leur enrôlement 14. Cette déclaration indiquait clairement que rien n'avait changé du point de vue légal, social ou économique pour les nations indiennes après la guerre. Bien qu'ils aient survécu à la guerre, de nombreux vétérans indiens continuaient à vivre tout au bas de l'échelle économique et avec le temps, leur situation ne s'améliorait pas. Vous pouvez vous imaginer la désolation qu'ils ont vécue, surtout lorsqu'ils se comparaient à leurs camarades non indiens.

Non seulement le ministère des Affaires indiennes ne reconnaissait pas les sacrifices des soldats indiens durant la guerre, mais d'autres ministères fédéraux, plus particulièrement le ministère des Affaires des vétérans, excluaient les vétérans indiens et leurs familles de plusieurs programmes de guerre et d'après-guerre. Les vétérans indiens étaient sous la tutelle du gouvernement et n'étaient donc pas sous la responsabilité du ministère des Affaires des vétérans.

Cette exclusion existait même durant la guerre. Un agent des Bloods l'a découvert lorsqu'il a essayé d'obtenir de l'argent du Fonds patriotique pour les familles dont les hommes étaient partis en Europe. Le bureau régional du Fonds patriotique a répondu par la suivante :

Les dépendants de ces soldats indiens sont sous la tutelle du gouvernement et obtiennent des rations alimentaires du gouvernement et n'ont pas à payer de loyer. Puisqu'ils sont donc à charge du gouvernement du Canada et que ce gouvernement est responsable de leur entretien, nous recommandons qu'ils n'aient pas droit à la distribution du Fonds patriotique 15. [traduction]

L'agent a fait parvenir la lettre à J. D. McLean en suggérant que cette question soit transmise à l'administration centrale du Fonds. Scott a transmis cette plainte lui-même au secrétaire adjoint du Fonds. On a finalement décidé que les familles des Indiens enrôlés seraient traitées de la même façon que celles des recrues d'autres nationalités 16.

En 1919, la Loi d'établissement de soldats offrait aux vétérans intéressés à devenir agriculteurs la possibilité d'obtenir des terres fédérales ou d'acheter des fermes; cette loi n'excluait pas les Indiens. Cependant, les vétérans indiens de l'Ouest du Canada étaient exclus car cette loi entrait en conflit avec la Loi sur les Indiens de 1906 qui stipulait :

Nul Indien ou Indien non soumis au régime d'un traité et qui réside dans la province du Manitoba, de la Saskatchewan ou de l'Alberta ou dans les Territoires, n'est réputé avoir eu ou avoir la capacité d'acquérir, en vertu de quelque loi concernant les terres fédérales, un homestead ou un droit de préemption sur un quart de section, [ou sur une parcelle de terre] dans les réserves arpentées ou non arpentées desdites provinces ou desdits Territoires [...] 17.

Les différences entre les deux lois ont rapidement fait surface lorsque la majorité des vétérans indiens ont voulu devenir agriculteurs en vertu de la Loi d'établissement de soldats mais dans leurs propres réserves. Par exemple, l'agent de la rivière Fisher a déclaré que les soldats de la bande de Peguis voulaient des terres sur leurs propres réserves. Certains agents des Indiens n'étaient même pas certains si la Loi d'établissement de soldats incluait les Indiens. Cependant, même quand les responsables avaient décidé que les Indiens étaient admissibles, ils les percevaient toujours sous la tutelle du ministère des Affaires indiennes. Alors, à des fins administratives pratiques, on s'était arrangé avec le ministère des Affaires indiennes qui serait responsable d'exécuter la loi pour les vétérans indiens 18.

La question ne se serait jamais posée si Scott avait suivi son plan d'origine qui était de loger les vétérans indiens sur des terres données à l'extérieur d'une réserve. Au lieu de cela, il a suivi la suggestion de W.M. Graham d'offrir des terres de réserve aux Indiens, qui seraient toujours sous la supervision du Ministère, et de laisser ainsi les autres terres aux autres demandeurs 19. Cette procédure simplifiait tout pour les agents des Indiens qui pourraient plus facilement assurer la conformité à la Loi sur les Indiens puisque les vétérans indiens vivaient dans les réserves.

Malgré cela, beaucoup d'Indiens n'avaient pas la possibilité de réussir ou d'échouer en raison de l'attitude paternaliste des agents qui avaient tout le pouvoir d'approuver ou de rejeter les demandes. Lors de la dépression des années 1930, on a continué de refuser aux vétérans indiens les avantages offerts aux vétérans non indiens. Le ministère des Affaires des vétérans a continué de remettre la responsabilité au ministère des Affaires indiennes en utilisant l'excuse que les Indiens étaient sous la tutelle du gouvernement. Au printemps de 1932, le ministère des Pensions et de la santé nationale a décidé d'exclure de la Loi sur les allocations aux anciens combattants les vétérans indiens vivant dans les réserves. Ces derniers étaient traités de la même façon que tous les autres Indiens vivant sur des terres de réserve. Le comité responsable indiquait d'ailleurs ceci dans une lettre au ministère des Affaires indiennes :

Les vétérans indiens n'ont pas droit à une aide compensatoire s'ils vivent dans des réserves puisqu'ils sont alors sous la tutelle de votre gouvernement. Le comité a aussi été informé que les Indiens n'avaient pas droit aux privilèges accordés par la Loi d'établissement de soldats selon le comité sur l'établissement des soldats puisqu'ils avaient droit à des privilèges d'établissement par l'entremise de votre Ministère 20. [traduction]

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