La Compagnie du Nord-Ouest réussit à
monopoliser la traite des fourrures dans l'Ouest pendant
des années, mais non sans se heurter à
une féroce concurrence de la part de la Compagnie
de la Baie d'Hudson. Comme l'indiquent ces directives
émises par William McGillivray et Alexander Mackenzie
en 1798, les négociants en fourrures et les hivernants
ont reçu instruction de « bien surveiller » les
concurrents pour que les Indiens n'échangent
pas leurs fourrures ailleurs. On interdit aussi aux
négociants en fourrures de la Compagnie du Nord-Ouest
de se marier, de crainte que la vie de couple ne les
empêche d'hiverner dans la région longtemps.
À l'opposé, la Compagnie de la Baie d'Hudson
encourage ses négociants en fourrures à
épouser des femmes autochtones afin de solidifier
ses alliances commerciales.
La Compagnie du Nord-Ouest, créée
en 1787 à la suite d'une fusion de plusieurs
négociants en fourrures indépendants
de Montréal, contrôle la traite dans
l'Ouest pendant plusieurs années, à
la grande déception de sa grande rivale, la
Compagnie de la Baie d'Hudson. Avec son réseau
de postes s'étirant jusqu'à l'océan
Pacifique, la Compagnie du Nord-Ouest jette les bases
du peuplement de la région. Accumulant les
richesses en échangeant les matières
premières de l'Ouest contre des biens importés
et transformés produits dans les villes du
centre du Canada, cette entreprise commerciale connaît
un franc succès.
La traite des fourrures dépend cependant beaucoup
plus des efforts des voyageurs, des engagés
et des hivernants qui s'aventurent dans l'Ouest. On
dit que la traite dans l'Ouest s'est littéralement
développée sur le dos des voyageurs.
Ces hommes, des Canadiens français, des Métis
de langues anglaise et française et des Indiens,
travaillent pendant de longues heures pour de faibles
salaires, transportant des biens sur des milliers
de kilomètres et passant l'hiver dans un territoire
désolé, peu connu et parfois hostile.
Peu à peu, cela devient un mode de vie, si
bien que les négociants en fourrures prennent
racine, établissent des relations avec des
Indiennes ou des Métisses et les épousent
souvent « à la façon du pays ».
Contrairement à la Compagnie du Nord-Ouest,
la Compagnie de la Baie d'Hudson a pour politique
d'encourager les relations mixtes pour des raisons
commerciales. La Compagnie de la Baie d'Hudson considère
non seulement que ces Indiennes et ces Métisses
peuvent mettre la main à la pâte, mais
aussi que les liens familiaux et tribaux qu'elles
permettent de créer adoucissent les relations
entre négociants en fourrures et Indiens. Ces
« intermédiaires féminines »
voient souvent leur prestige, leur pouvoir politique
et leur sécurité personnelle s'accroître
en raison de leur liaison avec des négociants
en fourrures européens. Même si la Compagnie
de la Baie d'Hudson s'intéresse uniquement
au commerce des fourrures et aux profits, des facteurs
plus personnels dictent souvent les relations entre
les négociants européens et les femmes
autochtones.
Pendant que la Compagnie du Nord-Ouest connaît
beaucoup de succès en pénétrant
plus loin à l'intérieur du pays et en
y construisant des postes de traite, la Compagnie
de la Baie d'Hudson continue à axer ses efforts
sur ses postes de l'intérieur situés
le long des réseaux fluviaux de la Rouge, de
l'Assiniboine et de la Saskatchewan. Il y a parfois,
à quelques kilomètres de distance les
uns des autres, des postes qui appartiennent à
la Compagnie du Nord-Ouest, à la Compagnie
de la Baie d'Hudson et à un négociant
en fourrures indépendant (souvent américain).
Fait intéressant, il est courant pour les deux
grandes compagnies de construire des postes clés
à proximité l'un de l'autre et de se
faire concurrence pour obtenir la « pratique
» des Indiens. Ce dédoublement ne fait
toutefois que réduire les profits des deux
compagnies.
La fin du XVIIIe siècle et le début
du XIXe sont l'âge d'or de la Compagnie du Nord-Ouest.
Après les voyages d'exploration d'Alexander
Mackenzie, de Simon Fraser et de David Thompson, les
régions qui sont aujourd'hui l'ouest de l'Alberta
et la Colombie-Britannique sont mieux connues, et
les cartes des réseaux fluviaux, des lacs et
des montagnes, plus fiables. À son tour, la
Compagnie du Nord-Ouest se développe davantage
vers l'ouest, y établissant de plus en plus
de postes. Avec plus de 1 500 agents, commis et manœuvres,
elle devient une organisation efficace. Elle accroît
ses profits et ses dividendes, souvent au coût
de l'exploitation impitoyable et de la quasi-extermination
des animaux à fourrure.
À l'opposé, durant cette période,
la Compagnie de la Baie d'Hudson souffre de l'inflexibilité
de son organisation, dont Londres fixe les politiques.
Les nombreuses guerres qui opposent la France et la
Grande-Bretagne au XVIIIe siècle rendent aussi
les marchés européens incertains. La
Compagnie de la Baie d'Hudson verse un dividende de
10 p. 100 en 1778, de 8 p. 100 en 1779, et n'en paye
aucun entre 1783 et 1785. Pendant presque 24 ans,
les dividendes qu'elle verse atteignent en moyenne
4 p. 100. La compagnie possède une organisation
stable et une longue expérience de la traite
des fourrures, ce qui n'est toutefois pas suffisant
pour résister aux pressions exercées
par la Compagnie du Nord-Ouest; elle en arrive donc
en 1821 à trouver avec cette dernière
un modus vivendi, qui mène à
la fusion des deux rivales.