Les immigrants trouvent souvent du travail comme ouvriers
agricoles dans l'Ouest canadien mais, contrairement
à ce que laisse entendre la propagande gouvernementale,
les Prairies ne sont pas un pays de cocagne. Ainsi que
l'indique cet avertissement aux immigrants britanniques
qui travaillent comme moissonneurs, la promesse de salaires
convenables ne se matérialise pas souvent. Tout
comme la classe ouvrière urbaine, les fermiers
de l'Ouest ont des griefs précis contre le système
économique et politique du pays. Au début
des années 1920, leur mécontentement se
manifeste par la création de mouvements politiques
défendant leurs intérêts, tel que
le Parti progressiste.
L'agitation politique et sociale de la période
d'après-guerre ne touche pas seulement les
travailleurs des villes. Les fermiers de l'Ouest et
les ouvriers agricoles sont eux aussi mûrs pour
l'affrontement. À la fin de la guerre, la demande
de céréales diminue, et par conséquent
le prix du blé et des autres céréales
chute également. De plus, de nombreux agriculteurs
ont agrandi leur ferme au cours de la guerre afin
de contribuer le plus possible à l'effort de
guerre. Ils ont acheté de l'équipement
et emprunté à des taux d'intérêt
élevés pour acquérir plus de
terre. Lorsque la dépression d'après-guerre
frappe, ils commencent à s'organiser en vue
de former des partis politiques qui répondent
vraiment à leurs besoins économiques
et politiques.
En décembre 1920, le Parti progressiste est
créé, et d'autres partis provinciaux
suivent peu après. Aux élections provinciales
de 1921, les Cultivateurs unis de l'Alberta remportent
la majorité des sièges. Les candidats
des fermiers font également bonne figure aux
élections provinciales du Manitoba, en juin
1920. Le Parti progressiste peut compter sur l'appui
de ces groupes de fermiers lorsqu'il présente
des candidats aux élections fédérales
de 1921.
Lors de cette élection, les progressistes
démontrent qu'ils ne sont pas un parti politique
traditionnel. Ils font campagne pour que les fermiers
soient représentés à Ottawa et
non pour que leur parti forme le gouvernement. Pourtant,
il s'en faut de peu qu'ils n'obtiennent ce qu'ils
ne désirent pas, car ils font élire
suffisamment de députés pour former
l'Opposition officielle. Leur arrivée transforme
vraiment la Chambre des communes. Les progressistes
élus ne comptent pas seulement des fermiers;
ils ont aussi dans leurs rangs une jeune enseignante
de l'Ontario, Agnes Macphail, qui devient la première
députée canadienne. Même les travailleurs
ont leur représentant à la Chambre.
Comme William Irvine (l'un des deux membres du Parti
travailliste) le fait remarquer à l'Orateur
au début de la session : « J'aimerais
dire que M. Woodsworth est le chef du groupe des travaillistes...
et que je suis le groupe. »
Malgré ses succès électoraux,
le Parti progressiste est irrémédiablement
divisé. Ses membres ne savent pas s'ils doivent
agir comme un véritable parti politique, et
faire pression sur le parti au pouvoir, ou s'ils doivent
simplement représenter les différents
groupes économiques de la société
en Chambre. Même s'ils arrivent au second rang
quant au nombre de députés et qu'ils
peuvent par conséquent former l'Opposition
officielle, les progressistes cèdent cet honneur
au Parti conservateur. On a prétendu que bien
des progressistes ne désiraient pas s'opposer
aux libéraux, qu'ils voulaient simplement obtenir
des réformes, qu'ils étaient en somme
des « libéraux pressés ».
D'autres progressistes, en revanche, répugnent
à faire de la politique partisane, puisqu'ils
veulent justement que la partisanerie disparaisse.
En refusant de former l'Opposition officielle, les
progressistes se privent de l'influence nécessaire
pour changer le régime des partis selon leurs
vœux. Au milieu des années 1920, le mouvement
des agriculteurs a perdu de son dynamisme sur la scène
fédérale. Le Parti progressiste s'est
constitué très rapidement, mais il n'a
ni le leadership ni le programme pour occuper une
place permanente dans l'arène politique. Aux
élections fédérales de 1925,
le parti est en déroute, et il perd un grand
nombre de sièges. À bien des égards
les progressistes ont tenté l'impossible :
réformer le régime des partis sans participer
à ce régime. Ils sont malgré
tout le premier véritable parti de l'Ouest
à remporter suffisamment de sièges pour
former l'Opposition officielle à la Chambre
des communes. La politique canadienne s'en trouve
transformée à jamais.