Lors du « samedi sanglant », le 21 juin
1919, le pasteur méthodiste et militant syndical
J. S. Woodsworth est arrêté; il sera incarcéré
pendant neuf jours. Le compte rendu de son séjour
en prison fournit des informations éclairantes
sur ce qu'il pense de la grève générale
de Winnipeg, du travail, de la classe ouvrière,
de la religion et des immigrants. Homme religieux ayant
une conscience sociale exigeante, Woodsworth est également
le produit de son milieu conservateur. Ce témoignage
montre bien qu'il n'a pas l'habitude de séjourner
en prison.
Pendant toute la durée de la grève
générale de Winnipeg, le Western
Labour News, dont J. S. Woodsworth est le rédacteur
en chef et Fred Dixon le journaliste, continue d'être
imprimé et distribué. C'est l'un des
rares journaux de Winnipeg qui présentent l'opinion
des travailleurs au sujet de la grève. Cependant,
à la suite de l'émeute du 21 juin 1919,
le Citizens' Committee of One Thousand décide
de s'en prendre au journal. Il en interdit la publication
et fait arrêter son rédacteur en chef.
Le comité justifie son action par la teneur
de certains articles qu'il considère comme
des « écrits séditieux »
pouvant susciter d'autres émeutes. Le lundi
23 juin, alors que Woodsworth se rend informer le
comité de grève que la publication du
journal est interdite, il est arrêté
et accusé d'avoir publié des articles
séditieux. Il est d'abord incarcéré
à la prison municipale, rue Rupert, puis le
lendemain on le transfère à la prison
provinciale, rue Vaughan. Il sera relâché
huit jours plus tard.
Le mercredi 25 juin 1919, la grève générale
de Winnipeg prend fin sans que les travailleurs atteignent
aucun de leurs objectifs. Pour comble, un rapport
gouvernemental rédigé après la
grève conclut qu'il n'y a aucune preuve de
l'existence d'un complot révolutionnaire ni
que les travailleurs avaient l'intention d'utiliser
la force ou la violence pour renverser le gouvernement.
Ce rapport établit plutôt que la grève
est motivée par le coût élevé
de la vie, les longues heures de travail, les maigres
salaires, les conditions de travail déplorables
et la réticence des employeurs à reconnaître
le droit à la négociation collective.
Il faudra encore près de trois décennies
avant que les travailleurs canadiens obtiennent la
reconnaissance syndicale et le droit à la négociation
collective. On dit qu'il a fallu des années
avant que les travailleurs de l'Ouest retrouvent le
courage, l'influence et le pouvoir qu'ils ont perdus
à Winnipeg. Ainsi se termine le combat ouvrier
le plus important de l'histoire du Canada. Malgré
tout, la grève générale de Winnipeg
n'est pas un échec total. Comme le fait remarquer
l'historien David Bercuson, c'est au cours de cette
grève que se produit l'arrêt de travail
le plus généralisé à avoir
jamais eu lieu en Amérique du Nord. La solidarité
syndicale et la conscience de classe qui s'y manifestent
permettent aux travailleurs d'élire leurs propres
représentants aux élections provinciales
dans les années qui suivent et, aux élections
fédérales de 1921, J. S. Woodsworth
devient le chef du Parti travailliste à la
Chambre des communes.