Au début, on enseigne aux enfants immigrants
de l'Ouest en anglais et dans leur langue maternelle
dans l'espoir de faciliter le processus d'assimilation.
Comme on le voit sur cette page d'un cahier de devoirs,
l'histoire intitulée « L'araignée
» est écrite en anglais et en ukrainien.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate,
cet arrangement est rapidement abandonné : les
langues des pays ennemis sont bannies, les étrangers
originaires de ces pays sont internés, et une
loi interdisant l'enseignement de toute langue autre
que l'anglais (et parfois le français) à
l'école est adoptée.
Lorsque la Première Guerre mondiale est déclarée,
en août 1914, le gouvernement canadien réagit
promptement à l'arrivée de nouveaux
immigrants en provenance de pays qui sont soudainement
devenus des ennemis. Le gouvernement invoque la Loi
des mesures de guerre pour contrôler les déplacements
des étrangers ennemis (c'est-à-dire
des immigrants originaires de pays ennemis) qui sont
maintenant suspects en raison de leur lieu d'origine.
La Loi des mesures de guerre permet au gouvernement
fédéral d'adopter un décret obligeant
les étrangers ennemis à se déclarer
aux autorités, à porter une carte d'identité
spéciale en tout temps et à se présenter
à la police à intervalles réguliers.
Ceux qui désobéissent ou qui sont tenus
pour des sympathisants de l'Allemagne ou de l'Autriche
risquent d'être internés dans des camps.
D'ailleurs, à la fin de la guerre, 8 500 personnes
sont internées. En 1918, un autre décret
interdit l'impression, la publication ou la possession
de tout ouvrage rédigé dans la langue
d'un pays ennemi sans la permission du secrétaire
d'État.
Pour de nombreux immigrants, vivre dans l'Ouest pendant
la Première Guerre mondiale est donc une expérience
difficile. La majeure partie de la population de langue
allemande vit en Saskatchewan. En effet, le recensement
de 1911 indique que près du quart de la population
de la province (110 000 habitants) est d'origine allemande.
Il y a aussi des groupes considérables d'immigrants
allemands au Manitoba et en Alberta, et un petit groupe
de 20 000 immigrants de langue allemande en Colombie-Britannique.
Plus de 83 000 Allemands et Austro-Hongrois sont forcés
de se déclarer aux autorités et de signaler
leurs allées et venues à intervalles
réguliers, alors que d'autres sont internés
et certains, déportés. Les Roumains,
les Slovaques, les Tchèques, les Hongrois,
les Polonais et les Ukrainiens sont également
au nombre des étrangers internés dans
les 26 camps qu'on trouve au Canada, dont un bon nombre
dans l'Ouest. Les fermiers originaires de pays ennemis
ne sont pas internés, mais ils doivent donner
leur nom aux autorités, et on prend leurs empreintes
digitales. Ils doivent remettre leurs armes à
feu, et ils perdent le droit de vote. D'autres se
voient refuser un emploi, et beaucoup sont congédiés.
Par instinct de conservation, certains Canadiens d'origine
allemande ou ukrainienne changent leur nom pour lui
donner une forme plus anglophone. La guerre provoque
une telle hystérie que tout ce qui est allemand
est interdit, qu'il s'agisse de bergers allemands,
de saucisses allemandes, de hamburgers ou de Wagner.
Certains villages et villes de l'Ouest changent même
leur nom. Par exemple, Dusseldorf (Alberta) devient
Freedom, ce qui témoigne d'un patriotisme inquiet.
En 1917, la pénurie de main-d'oeuvre relègue
au second plan les craintes de la population hostile
aux immigrants, et les camps d'internement libèrent
un grand nombre d'hommes qui sont embauchés
comme terrassiers par les sociétés de
chemins de fer ou minières. Il ne reste plus
alors que trois camps d'internement et 2 000 hommes
emprisonnés. Aucune compensation n'a jamais
été versée à ces Canadiens
qui ont été détenus pendant deux
ou trois ans.
Mais le gouvernement fédéral n'est
pas le seul à réagir ainsi à
la présence d'étrangers ennemis. Les
gouvernements provinciaux de l'Ouest se servent également
du prétexte de la Première Guerre mondiale
pour imposer des lois restrictives sur l'éducation.
En 1916, au Manitoba, le système scolaire bilingue
(français-anglais) est aboli et en 1918, en
Saskatchewan, le gouvernement interdit l'enseignement
de toute langue autre que le français ou l'anglais
dans les écoles. Pendant la guerre, la loyauté
et le patriotisme, pour de nombreux Canadiens établis
depuis un certain temps dans l'Ouest, sont étroitement
liés à la langue anglaise et à
la culture canado-britannique. De plus, les écoles
sont considérées comme le plus grand
facteur d'assimilation à la société
canadienne. Ainsi que l'écrivait un commentateur
au cours de la Première Guerre mondiale : «
L'école publique est comme un moulin qui rassemble
des écoliers d'origines diverses dans le même
trémie et leur imprime le sceau du roi et la
feuille d'érable. »