Avant la Première Guerre mondiale, il n'est
pas facile de trouver un emploi pour les femmes qui
vivent dans l'Ouest canadien et qui désirent
travailler ou qui ont besoin de gagner leur vie, et
la crise économique de 1913-1915 n'arrange pas
la situation. Ainsi que le montre le journal de cette
femme, écrit au printemps 1913, il est même
difficile de trouver du travail dans un bureau. Mais
la situation change avec le déclenchement de
la Première Guerre mondiale : la pénurie
croissante de main-d'œuvre masculine au pays offre alors
à un nombre sans précédent de femmes
l'occasion d'entrer sur le marché du travail.
Au cours des années qui précèdent
la Première Guerre mondiale, les femmes de
l'Ouest, comme celles qui vivent ailleurs au Canada,
n'ont pas à se plier aux mêmes conventions
qu'à l'époque victorienne dans leur
vie quotidienne et dans leurs rapports avec les hommes,
mais les hommes et les femmes occupent toujours des
« sphères distinctes ». Pour la plupart,
les femmes jouent encore, et acceptent, le rôle
traditionnel de ménagère, d'épouse
de fermier ou de rentière. En 1911, elles constituent
10 p. cent de la main-d'oeuvre et, parmi celles qui
sont rémunérées, la plupart sont
employées comme domestiques. Le droit de vote
ne leur est toujours pas accordé, ni aux élections
provinciales ni aux élections fédérales,
et le mouvement des suffragettes est encore une pâle
imitation de l'original britannique. Les villes de
l'Ouest et des autres régions du Canada connaissent
une pauvreté endémique.
Le pays éprouve des difficultés importantes
lorsque l'essor économique amorcé en
1896 s'arrête soudainement. À l'automne
1913, le Canada est aux prises avec la pire crise
économique depuis deux décennies. Des
dizaines de milliers de citadins se retrouvent sans
emploi, et beaucoup de fermiers de l'Ouest, endettés
et isolés de leur banque, abandonnent leur
ferme et déménagent en ville. La cause
la plus immédiate de la crise est la diminution
soudaine de l'investissement de capitaux britanniques,
qui ont servi à financer l'expansion du commerce,
de l'industrie et des affaires immobilières
au cours de la décennie précédente.
Pendant une dizaine d'années, la prospérité
au Canada, et en particulier celle de l'Ouest, a reposé
sur l'investissement de capitaux britanniques qui
ont permis la construction d'une multitude de chemins
de fer, l'immigration sur une grande échelle,
la culture du blé et l'exploitation des ressources
naturelles. En 1913, cependant, l'inflation est à
la hausse, l'investissement diminue, et le prix des
principales exportations, comme le blé, le
bois d'oeuvre, le papier journal et les métaux
de base, est en constante diminution. Le boom des
années Laurier est terminé, et l'époque
fabuleuse de la construction des chemins de fer risque
de se terminer par l'effondrement de l'économie
canadienne.
Mais le déclenchement de la Première
Guerre mondiale aide le Canada à remettre son
économie en marche, et les femmes jouent un
rôle important à cet égard. Elles
sont alors nombreuses à entrer sur le marché
du travail, car l'enrôlement tient les hommes
éloignés du travail et la production
de guerre nécessite plus de main-d'oeuvre.
Dans l'Ouest, et partout au Canada, dans les fermes,
les usines et les bureaux, les femmes occupent les
emplois laissés vacants par les hommes. En
1916, des femmes mettent sur pied le Women's Emergency
Corps en vue de recruter des femmes désireuses
de travailler à la production de munitions
afin que les hommes puissent se joindre aux forces
armées. Ceux qui peuvent s'enrôler mais
qui ne le font pas sont souvent la cible de la «
campagne de la plume blanche » : les femmes épinglent
une plume blanche au revers de ceux qui ne sont pas
inscrits sur les listes d'enrôlement pour indiquer
que ce sont des « poltrons ».
Même si les femmes sont plus nombreuses que
jamais sur le marché du travail, leur salaire
continue d'être considérablement moins
élevé que celui des hommes effectuant
les mêmes tâches. De plus, elles sont
victimes de discrimination et ne bénéficient
pas du soutien des syndicats, qui refusent généralement
de les syndiquer parce qu'ils considèrent qu'elles
ne sont sur le marché du travail que pour la
durée de la guerre. En outre, il n'y a pas
de garderies pour permettre aux mères d'occuper
un emploi. En dépit de ces difficultés,
à la fin de la Première Guerre mondiale,
des dizaines de milliers de femmes partout au Canada
occupent un emploi qui leur était autrefois
inaccessible.