Canadian Pacific Railway termine la construction du
pont sur chevalets de Lethbridge en 1909. S'étirant
sur 1,6 kilomètres et d'une hauteur atteignant
314 pieds, il relie les rives escarpées de la
rivière Oldman; il s'agit du pont le plus long
et le plus élevé du genre en Amérique
du Nord. Il symbolise les défis techniques qu'il
a fallu relever pour doter l'Ouest canadien d'un service
ferroviaire.
La construction d'une ligne de chemin de fer traversant
le pays d'un océan à l'autre est, pour
employer les mots de l'historien Pierre Berton, le
« rêve national » du Canada. Dans
les faits, l'entreprise s'avère plus souvent
un cauchemar technique et politique.
En février 1881, la Canadian Pacific Railway
Company (CPR), formée par un groupe de financiers
de la Banque de Montréal, se voit offrir des
conditions très intéressantes pour construire
un chemin de fer. Le gouvernement canadien veut remettre
à la compagnie 25 millions de dollars et 25
millions d'acres de terrain et consent à appliquer
une clause de monopole selon laquelle aucune autre
voie concurrente ne pourra être aménagée
au sud de celle de la CPR avant 1900. Ces généreuses
conditions soulèvent l'un des débats
les plus longs et les plus amers de toute l'histoire
parlementaire du Canada - un débat de bien
plus d'un million de mots, plus que l'Ancien et le
Nouveau Testament réunis.
En janvier 1882, CPR embauche William Cornelius Van
Horne, ingénieur américain robuste et
impétueux, comme directeur général
chargé de superviser la construction. La pose
de la voie à travers les Prairies s'effectue
à un rythme étonnamment rapide. À
un certain moment, les cheminots mettent moins de
cinq minutes à poser 600 pieds (180 mètres)
de voie ferrée, un record de pose manuelle
qui demeure inégalé. La partie la plus
ardue de la construction est toutefois l'installation
des rails dans les montagnes Rocheuses. À la
fin de l'été 1882, le major A.B. Rogers,
superviseur ferroviaire chevronné, découvre
un passage dans la chaîne Selkirk qui permet
à CPR de traverser les montagnes à cet
endroit; il insiste pour qu'on lui donne le nom de
« Rogers Pass ». Malgré cette découverte,
il n'est pas facile de poser des voies à flanc
de montagne, de dynamiter des tunnels à travers
le roc et de construire des ponts pour enjamber de
rapides cours d'eau de montagne. Tout cela exige du
temps et de l'argent et, trop souvent, coûte
la vie à des milliers de travailleurs chinois.
À la fin de 1884, la compagnie est au bord
de la faillite. Par pure coïncidence, c'est la
Rébellion du Nord-Ouest qui l'aide à
redevenir solvable. Le jour même où la
nouvelle de cette révolte parvient à
Ottawa (le 27 mars 1885), le Parlement vote en faveur
de l'utilisation du chemin de fer pour envoyer les
troupes au-devant de Riel et des Métis. Mais
il faut d'abord terminer la voie ferrée. Le
gouvernement adopte donc aussi un projet de loi sur
l'achèvement des rails qui restent à
poser dans les montagnes. Huit mois plus tard, le
chemin de fer transcontinental du Pacifique, rêve
national du Canada, devient réalité.