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CHAPITRE V*LA PRESSE ET LES PÉRIODIQUES[73]C'EST avec une certaine hésitation que nous nous risquons à inclure le journal et la presse périodique dans cet examen des arts, des lettres et des sciences. Officiellement, nous n'avons à nous occuper ni des journaux ni des revues; leur publication, au Canada, est une opération complexe, variée et spécialisée, et le profane qui se risquerait à en discuter, [sic] tomberait facilement dans la banalité ou pourrait même commettre de graves erreurs de jugement; nous ne déposerons donc aucune recommandation précise en ces matières, bien que, ailleurs, nous ayons noté certaines difficultés dont souffrent les éditeurs de journaux et de revues. Néanmoins, il nous semblerait incongru, dans une étude de cette nature, de passer sous silence les quotidiens et les revues du Canada, qui fournissent aux Canadiens la plus grande partie de leurs lectures, et qui sont probablement pour eux la source essentielle de la connaissance qu'ils ont de leurs propres concitoyens. Nos quotidiens ont, ensemble, un tirage journalier d'environ trois millions et demi d'exemplaires; nous avons cinq journaux, paraissant chaque fin de semaine, qui totalisent près de deux millions d'exemplaires par semaine; environ un millier d'hebdomadaires d'intérêt local ont un tirage qui varie de cinq cents à mille ou davantage; nous avons appris qu'il y a, chez nous, trente-deux journaux agricoles, atteignant un tirage global d'à peu près deux millions d'exemplaires; enfin, nos dix-huit revues principales totalisent un tirage de près de trois millions; quarante autres ajoutent à ces chiffres un tiers de million et les journaux commerciaux et techniques, un million encore (1). Nous nous rendons compte qu'une statistique de ce genre n'a guère d'utilité en soi; elle a, du moins, le mérite de révéler l'existence, au Canada, d'une presse florissante; de plus, elle fait songer que les opinions, les attitudes, les goûts, les croyances et les préjugés des citoyens canadiens, sont, sans aucun doute, très largement influencés (de façon recommandable ou non), par cette énorme quantité de papier imprimé qu'ils trouvent si facilement à leur portée. 2. Nous avons également appris avec intérêt que le tirage des journaux canadiens s'est considérablement accru au cours des dix dernières années. Cet accroissement devrait rassurer ceux qui, il y a quelques années, craignaient que les nouveaux moyens de diffusion (tels que la radio et les films documentaires) ne menacent sérieusement la puissance traditionnelle de la presse. À cet égard, nous pouvons constater que la Commission royale d'enquête sur la Presse en Grande-Bretagne, qui a présenté son rapport en juin 1949, n'éprouve aucune appréhension.
3. Dans quelle mesure la presse canadienne assume-t-elle ces graves responsabilités, ce n'est pas ici le lieu de répondre à cette question et nous ne sommes pas l'organisme qualifié pour le faire. Il est fort éloigné du domaine de notre compétence d'entreprendre une enquête à cette fin, comportant l'examen de questions telles que les finances, la réglementation, les difficultés, la liberté de la presse au Canada et son sens des responsabilités. Nous ne nous aventurerons pas même à faire des conjectures sur l'importance des journaux canadiens en tant que facteurs d'unité nationale et de compréhension mutuelle. Cela seul, en effet, constituerait l'objet d'une enquête formidable. Les journaux de notre pays ont, sans aucun doute, le devoir de rendre compte des nouvelles avec toute la précision possible; ils ont le droit de présenter ces nouvelles d'une manière qui, à leur sens, rendra chaque journal plus attrayant, plus populaire et plus influent. Jusqu'à présent, les « nouvelles », au Canada, ont surtout eu un caractère local ou régional. Un habitant de Vancouver, en résidence à Toronto, ne trouverait que peu d'information touchant sa ville natale dans la presse locale, n'étaient un tremblement de terre, une grève importante, un meurtre spectaculaire, une inondation, une tempête inattendue et dévastatrice. De son côté, un habitant de Toronto profitant de l'hospitalité de Vancouver netrouverait généralement, dans les journaux quotidiens, rien qui lui rappelle que Toronto ou la province d'Ontario existent toujours. Dans n'importe quelle petite ville canadienne, l'incendie d'une boulangerie locale, ou un scandale municipal quelconque, chasserait de « la une » du journal local les résultats électoraux d'une autre province, ou la première exécution d'une symphonie canadienne à Londres. Cet intérêt et cette préoccupation pour tout ce qui est proche et familier ne sont en aucune façon les symptômes d'un regrettable esprit de clocher; c'est une part du prix que nous payons pour nous répandre sur l'étendue d'un demi-continent. Si même l'on pouvait vaincre des difficultés matérielles de distribution (par l'usage du fac-similé, par exemple), un journal qui s'efforcerait d'englober efficacement tout le champ des informations nationales, ne présenterait sans doute que peu d'intérêt pour la plupart de nos localités; de plus, pour avoir le droit de s'appeler national, un journal canadien devrait être publié simultanément en français et en anglais, entreprise où aucun journal canadien n'a osé se lancer, quelque fort que puisse être son tirage. Le seul périodique qui mérite ainsi le qualificatif « national », est le Reader's Digest des États-Unis, qui, publié dans les deux langues, a, paraît-il, une large diffusion au Canada. 4. Dans le cours de notre analyse de la presse nationale, nous ne saurions oublier le rôle remarquable que la Presse canadienne joue dans la collection et la distribution des informations au Canada. Cette entreprise coopérative, maintenue par quatre-vingt-onze quotidiens canadiens et approvisionnant en informations plus de cent postes de radiodiffusion, n'a pu être créée qu'au prix des plus grandes difficultés et de dépenses considérables; mais le résultat de ces efforts a été de mettre sur pied un service indépendant d'informations, destiné à résoudre les problèmes nés des conditions géographiques du Canada (3) . Il ne nous semble pas que la Presse canadienne ait jamais été en butte à des critiques graves concernant un manque de précision ou d'esprit objectif. Il est vrai, cependant, que cette organisation reflète fidèlement les vertus et les défauts des bons journalistes de toute l'Amérique du Nord, et, sans doute, du monde entier. Les informations choisies par elle, l'accent qui leur est conféré et l'ordre de priorité qui leur est ménagé, ainsi que le sens de leur valeur, tous ces facteurs sont ceux qui règnent dans n'importe quel bon quotidien d'Amérique du Nord. Le rang modeste accordé aux sujets éducatifs, scientifiques et culturels est, sans doute, le reflet de l'état d'esprit du public. 5. En dehors des articles de quelques journalistes canadiens distingués, en tournée ou en poste à l'étranger, et en dehors des communications des bureaux de la Presse canadienne énumérés ci-dessous, les informations internationales nous parviennent surtout par l'intermédiaire des agences de presse et par les services étrangers des journaux américains. Grâce à la British United Press, qui, au Canada, travaille de façon complémentaire avec la Presse canadienne, un bon nombre de nos journaux sont en relations avec l'United Press, et beaucoup d'autres ont accès au service mondial de l'Associated Press, par l'intermédiaire de la Presse canadienne. Maints journaux canadiens sont également abonnés à l'International News Service, à Reuter, à France-Presse, au service des nouvelles étrangères du New York Times, du New York Herald Tribune, ou du Chicago Daily News. Bien que la Presse canadienne, par ses bureaux de New-York, Washington et Londres, porte une attention toute spéciale aux intérêts canadiens dans ces régions, nous dépendons amplement au Canada de services étrangers destinés en premier lieu au marché des États-Unis. Il semble impossible de remédier à cette situation, à moins que les journaux abonnés à la presse canadienne n'estiment pratique et désirable d'étendre leurs propres services d'informations à l'étranger; il est fort probable que peu de Canadiens se rendent compte que les informations internationales qu'ils lisent ou entendent, sont, pour la plupart, recueillies et rédigées par et pour des Américains; et que si nos journaux ne s'abonnaient pas à ces vastes services américains, puissamment organisés, nous serions souvent réduits à des renseignements tout à fait insuffisants sur bien des événements d'importance. 6. On peut discuter sur l'apport de la presse du Canada au développement des arts et des lettres dans notre pays. Nombre de nos grands journaux accordent, depuis longtemps, une place généreuse à la chronique des livres, à la critique musicale et artistique, et nous avons, parmi nous, des journalistes qui savent écrire avec profondeur et distinction; mais nous ne saurions nous prononcer quant à l'influence de ces éléments sur notre vie culturelle. C'est peut-être parce que nos aptitudes créatrices sont restreintes dans le domaine artistique, que nous n'avons qu'une littérature critique des plus réduites. Nous savons que de nombreux directeurs emploieraient volontiers des écrivains capables d'écrire une critique musicale, dramatique ou littéraire, ou encore scientifique; mais il semblerait que nous n'ayons pas un nombre suffisant de gens qualifiés pour la critique et en même temps désireux de devenir journalistes. Apparemment, la presse canadienne-française est beaucoup plus favorisée, sans doute parce que les traditions de la critique européenne y ont été mieux gardées et davantage appréciées. 7. Le mémoire impressionnant de la Canadian Daily Newspapers Association est entièrement consacré à l'examen des conséquences que représenterait pour la presse l'emploi généralisé du nouvel appareil de diffusion de fac-similés, qui est, semble-t-il, à la veille de devenir le rival puissant et populaire des journaux actuels. Nous ne pouvons prétendre qu'à une connaissance très limitée de ce nouveau moyen de diffusion. Pour résumer et pour autant que nous puissions la comprendre, cette méthode consisterait à livrer à domicile un journal imprimé, avec la même facilité, et en usant essentiellement des mêmes moyens, qu'une émission de radio ou de télévision. Il n'y aurait besoin ni de presses à imprimer ni de services de distribution, et tout poste émetteur de radio pourrait participer à cette forme nouvelle de journalisme pour une somme qui ne représenterait qu'une partie minime de celle qui serait nécessaire à la fondation d'un journal de forme traditionnelle. La Canadian Daily Newspapers Association affirme que cette invention attirera des éléments nouveaux vers le journalisme et que le lecteur de fac-similés, assis près de son poste, sera capable de tourner n'importe quel bouton correspondant à divers journaux, de même qu'aujourd'hui il choisit telle ou telle émission radiophonique. 8. Nous comprenons l'inquiétude qu'éprouvent les éditeurs de journaux, à l'idée des possibilités de ce nouvel instrument de diffusion. Nous comprenons également l'appréhension des journalistes à la pensée que ce nouveau procédé de publication journalistique serait soumis à la législation et aux règlements qui régissent à l'heure actuelle la radiodiffusion, et qui, nous en convenons, seraient difficilement conciliables avec nos vues traditionnelles sur la liberté de la presse. Nous reviendrons à ce problème important et difficile dans la deuxième partie du présent Rapport, où nous exprimerons nos vues en ce qui concerne la radiodiffusion. 9. Dans un des chapitres précédents du Rapport, où nous traitions de l'influence du facteur géographique sur notre vie nationale, nous avons cité le commentaire d'un des représentants de la Periodical Press Association : « Le Canada . . . est le seul parmi les pays d'importance, dans le monde, dont les habitants lisent plus de périodiques étrangers que de périodiques nationaux, si l'on excepte les journaux locaux »(4). Il nous semble que cette affirmation résume et illustre à merveille la plupart des problèmes que nous avons passés en revue. Expliquer en détail les causes de cette situation, examiner avec assez de minutie ses conséquences possibles serait une tâche d'une telle ampleur que nous ne saurions l'entreprendre dans le cours de ces observations qui se bornent à des généralités. Cependant, il nous plairait, en passant, de mentionner ici les souvenirs agréables que nous a laissés notre réunion, à Toronto, avec les représentants de la Periodical Press Association, qui surent nous exposer leurs problèmes avec habileté et bonne humeur. 10. La presse périodique du Canada (si l'on peut se permettre des généralisations au sujet de publications qui comprennent des revues universitaires trimestrielles, aussi bien que des hebdomaires de veine populaire, imitant franchement des publications américaines à grand tirage) s'efforce vraiment de retenir l'attention de la nation tout entière, et, nous semble-t-il, y parvient. Notre presse a donné asile et encouragement à des Canadiens écrivant sur le Canada, et, souvent, elle a eu le plaisir un peu mélancolique de permettre à des écrivains canadiens de perfectionner leur technique jusqu'au point où ils peuvent vendre leur production à des périodiques américains plus fortunés. On nous a appris que les revues canadiennes importantes ont un contenu purement canadien représentant une proportion de soixante-dix à quatre-vingt pour cent de leur imprimé total; qu'elles s'efforcent d'expliquer l'idée du « Canada » à tous ses habitants; qu'elles traitent avec vigueur et objectivité des divers problèmes nationaux et qu'elles parviennent à survivre et même à prospérer, bien que les journaux américains se vendent dans une proportion de deux contre un sur notre propre marché. Les revues canadiennes, au rebours de ce qui se passe pour les textiles ou les pommes de terre, ne sont défendues par aucun tarif protecteur, bien que l'élargissement constant du marché canadien ait éveillé l'intérêt des agents de publicité et des revues américaines et que la concurrence de notre voisin du Sud soit devenue, de ce chef, de plus en plus âpre. Nous avons été impressionnés de ce que les périodiques canadiens ne désirent ni ne demandent aucune mesure protectrice, à l'exception d'une révision des droits de douane qui frappent le papier d'imprimerie importé des États-Unis. À l'heure actuelle, ils ont à subir la concurrence de quantités énormes de revues américaines, publiées sur du papier qui ne rapporte ni droits de douane, ni taxes de vente au gouvernement canadien; et ils ont fait valoir qu'une remise de 99 pour cent des droits versés actuellement sur le papier-journal importé des États-Unis, donnerait à leurs entreprises une impulsion qui serait la bienvenue. 11. Nous répétons que les problèmes qui se posent à la Periodical Press Association sont pour nous le symbole de maints problèmes auxquels le Canada, en tant que pays, et les Canadiens, en tant que peuple, ont à faire face. Nous n'avons pas au Canada de revues semblables à Atlantic, Harper's ou New Yorker. Néanmoins, nous possédons une presse périodique qui, en dépit de nombreuses tentations et de quelques défections, tient à demeurer résolument canadienne. 12. On ne saurait conclure sans dire un mot au sujet du périodique sans but lucratif, de la petite revue qui, éditée par un groupe de gens courageux et pleins de talent, a souvent donné un encouragement précieux aux écrivains possédant un véritable don créateur, et surtout aux poètes. Ses rubriques de critique, littéraire et autre, sont sévères mais généralement bien informées, écrites d'une plume brillante et alerte. Ces petites revues, qui n'ont souvent qu'une existence brève, n'attirent que peu de lecteurs et par conséquent ne trouvent pas de publicité à mettre dans leurs colonnes; elles jouent cependant un rôle primordial dans la vie culturelle de notre pays; leur existence précaire, leur mort prématurée, et, souvent, leur renaissance courageuse, sont sans aucun doute des facteurs essentiels dans notre lente évolution vers un état de civilisation raffinée. *Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau duConseil privé. |