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Association canadienne des éducateurs de langue française
MÉMOIRE
soumis à
LA COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE SUR L'AVANCEMENT DES ARTS, DES LETTRES ET DES SCIENCES AU CANADA*
Janvier 1950
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ASSOCIATION CANADIENNE DES ÉDUCATEURS DE LANGUE FRANÇAISE
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MÉMOIRE presente à LA COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE SUR L'AVANCEMENT DES ARTS, DES LETTRES ET DES SCIENCES AU CANADA
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SOMMAIRE
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ASSOCIATION CANADIENNE DES ÉDUCATEURS DE LANGUE FRANÇAISE
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MÉMOIRE PRESENTE À LA COMMISSION ROYALE D'ENQUÊTE SUR L'AVANCEMENT DES ARTS, DES LETTRES ET DES SCIENCES AU CANADA
L'Association canadienne des Éducateurs de langue française a été fondée à Ottawa par le Comité de la Survivance française, lors de sa session annuelle tenue le 8 octobre 1947.
Le 2 juin 1948, l'Acelf obtenait du secrétaire d'État du Canada des lettres patentes la consituant en corporation (sans capital-actions) pour les fins et objets suivants, savoir:
- servir la cause de l'éducation catholique et française au Canada;
- susciter l'intérêt et stimuler l'action dans le domaine de l'éducation catholique et française;
- favoriser la cooperération et la coordination de tous les organismes d'éducation et de tous les éducateurs catholiques et français sur toutes les questions d'intérêt commun;
- mettre à la disposition des éducateurs catholiques de langue française un service de renseignements.
L'Acelf exerce son action dans les dix provinces du Canada et a son siège social à Ottawa. Elle est dirigée par un double Conseil:
- un Conseil d'administration composé de 50 membres choisis dans toutes les parties du pays et dans les différentes sphères de l'éducation;
- un Comité exécutif formé du président, de quatre vice-présidents représentant les diverses régions du Canada et de neuf directeurs.
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Depuis sa fondation l'Acelf a tenu deux congrès, le premier à Ottawa en 1948 et le second à Québec en 1949. Conformément à l'une des principales résolutions de ces deux congrès, l'Association a commencé et poursuit actuellement un inventaire des ressources canadiennes en matière d'éducation catholique et française. Elle voit dans cet inventaire un moyen indispensable de favoriser la collaboration entre les différents organismes d'éducation catholique et française à travers tout le pays et de mettre à la disposition des éducateurs un service adéquat de reseignements.
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C'est le Comité de la Survivance française, nous le disons plus haut, qui a donné naissance à l'Association canadienne des Éducateurs de langue française. On ne sera donc pas surpris de voir cette association appuyer sans réticence les recommandations contenues dans le mémoire présenté par ce Comité à la Commission royale d'enquête sur l'avancement des Arts, des Lettres et des Sciences au Canada. Nous y référerons volontiers au cours du présent mémoire en nous servant des lettres MCS.
- L'Acelf est parfaitement d'accord avec le Comité de Survivance française sur l'importance qu'il y a des se rappeler ce qu'est le Canada au point de vue religieux, au poit de vue racial et culturel, au point de vue politique et au point de vue international (MCS, pp. 1-2).
- Étant une association d'éducateurs dont l'ambition est de rayonner dans le Canada tout entier, l'Acelf se rend bien compte de difficultés que présente une action exercée sur un territoire aussi étendu et la prudence avec laquelle cette action doit s'exercer concrètement dans des provinces qui ont juridiction exclusive en matière d'éducation. Aussi note-t-elle avec satisfaction:
- que l'idée principale qui a inspiré la tenue de cette enquête est de permettre aux Canadiens de connaître le plus possible leur propre pays, son histoire et ses traditions, la vie et les réalisations collectives
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de leur propre nation
- que dans toutes les recommandations qu'elle fera et qui ne manqueront pas de produire les meilleurs résultats, la Commission royale d'enquête aura sans cesse à coeur de respecter intégralement la juridiction constitutionnelle des provinces.
Est-il besoin d'ajouter que cette enquête nous paraît extrêment utile, voire nécessaire. Nous croyons, en effet, que le développement d'une culture et d'un esprit largement canadiens requiert la collaboration des provinces et du pouvoir central. Et il nous semble que l'enquête telle qu'elle a été conduite jusqu'ici manifeste une grande compréhension de la part des membres de la Commission royale des deux cultures dominantes en notre pays.
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Avant de soumettre respectueusement quelques recommandations à propos des organismes culturels nationaux sur lesquels porte spécialement la présente enquête, il nous parait bien utile de signaler à la suite du Comité de la Survivance Française, les principes généraux qui doivent inspirer l'État aussi bien que toutes les Institutions qui se préoccupent de développer une culture proprement canadienne.
Ces principes, que l'on pourrait multiplier, nous paraissent tout de même bien résumés dans le mémoire du Comité (MCS, p. 3) lorsqu'il déclare que le devoir du gouvernement est de
- Proclamer lui-même dans la théorie et dans les faits et faire comprendre à la population que la culture est la première richesse du pays et que chez nous la dualité culturelle doit être pour tous les citoyens un sujet de respect et de fierté.
- Aider chacune des deux races constitutives du pays à conserver et à enrichir sa culture propre.
- Stimuler les contacts et les échanges entre les deux cultures.
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- Favoriser les facteurs qui peuvent leur conférer un cachet proprement canadien et introduire une certaine unité dans leur diversité originelle.
- Neutraliser les influences extérieures qui leur seraient nocives.
Mus par ces principes généraux, nous nous permettrons maintenant de faire quelques remarques ou de référer, pour les appuyer, aux excellentes suggestions faites par d'autres associations et institutions sur les organismes qui font particulièrement l'objet de l'enquête royale sur la culture canadienne.
1. Radiodiffusion et télévision
- L'Acelf fait siennes:
- les remarques laudatives et les suggestoins de l'Acfas concernant Radio-Collège (Mém. Acfas, pp. 2-3
- les observations et les recommendations du Comité de la Survivance française concernant:
- le caractère moral des émissions radiophoniques;
- la commercialisation excessive et indiscrète de la radio;
- la situation nettement inférieure faite à la culture française par la radio canadienne dans tout le Canada.
- les excellentes suggestions contenues dans le mémoire présenté par un Comité de l'Université de la Colombie canadienne spécialement en ce qui concerne la formation d'un bureau de direction commun à Radio Canada et à l'Office national du Film en vue du développement rapide et mieux ordonné de la télévision au Canada.
- L'Acelf, convaincue que la conservation et la propagation d'une langue française pure et correcte est un des signes les plus certains en même
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temps qu'un des moyens les plus efficaces d'une culture canadienne authentique.
- déplore que très souvent la radio fasse entendre à ses auditeurs une langue française incorrecte, pour ne pas dire vulgaire;
- tout en déclarant que la langue du peuple est une chose très respectable et fondamentale dans le développement d'une culture, l'Acelf croit que la Radio abuse des programmes où trop souvent l'on confond vulgarité et langue populaire, où l'on propage de façon hélas très efficace ce qui n'est que défaut dans la langue populaire.
- L'Acelf, consciente du rôle immense que peut jouer la radio dans le domaine de l'éducation populaire et de l'éducation des adultes, suggère que l'on favorise, selon les circonstances, l'établissement de postes de radiodiffusion dans les grandes universités du Canada.
2. Office national du film
- À la suite des Universités et de plusieurs sociétés savantes, l'Acelf suggère que l'on augmente la production et la distribution de films proprement éducatifs servant directement à l'enseignement ou du moins complétant l'enseignement à tous les degrès. La collaboration des universités pourrait être davantage utilisée dans ce domaine.
- L'Acelf est tout à fait d'accord avec le Comité de la Survivance française sur le danger d'américanisation par le cinéma (dans le sens le plus péjoratif) de notre vie et de notre culture canadienne. C'est pourquoi elle trouve que le gouvernement canadien doit prendre les mesures pour que
- les films produits et distribués par l'Office national du film soient toujours "d'inspiration vraiment canadienne et développent chez les citoyens la connaissance et la fierté de nos deux cultures";
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- l'on encourage l'industrie privée qui entreprend sérieusement de produire de bons films canadiens;
- les meilleurs films européens, surtout français et anglais, pénètrent plus facilement au Canada;
- certains mauvais films américains ou autres soient empêchés d'entrer au Canada.
3. Musées nationaux et bibliothèque nationale
L'Association des universités canadiennes et plusieurs sociétés savantes, entre autres l'Acfas, ont présenté à la Commission royale des vues très intéressantes, que l'Acelf trouve très justes, concernant le dévéloppement des musées nationaux et la création d'une bibliothèque nationale.
Parmi ces suggestions, celles qui ont trait à la diffusion dans tout le pays de nos deux cultures et des moyens appropriés pour les développer et les enrichir, nous intéressent davantage. Ainsi la collaboration d'un musée national et d'une bibliothèque nationale avec les musées régionaux et les bibliothèques régionales qu'elles soient provinciales, municipales, universitaires ou privées nous paraît essentielle.
Mais il est évident que l'étendue de notre pays et sa diversité culturelle qu'il s'agit justement de faire connaître à tous les citoyens posent des difficultés à première vue insurmontables lorsqu'il s'agit de propager sur un plan national nos richesses culturelles par le moyen des musées et des bibliothèques.
Nous croyons cependant tout à fait indispensable que ces organismes culturels nationaux et d'autres arrivent à proclamer devant tout le Canada et devant les autres pays du monde notre dualité culturelle, et à favoriser les contacts et les échanges entre nos deux cultures. Pour cela ils doivent être non pas tant des organismes de centralisation et d'unification que
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des organismes de coordination de toute cette riche diversité. Et ils le seront si ceux qui les dirigent comprennent bien leur rôle et sont vraiment qualifiés pour le remplir.
Aussi l'Acelf trouve-t'elle très pertinentes les réflexions du Comité de la Survivance française sur le fonctionnarisme fédéral (MCS, pp. 7-8).
4. Subventions aux universités - octrois de recherche et bourses d'études
La Commission royale d'enquête a reçu les recommandations les plus variées et les plus généreuses concernant l'aide aux institutions d'enseignement, aux professeurs et aux étudiants. L'Acelf trouve la plupart de ces recommandations très heureuses et parfaitement justifiées.
Il est un fait incontestable. Les universités, qu'elles soient privées ou d'État, ont un besoin urgent d'être secourues, pour continuer à remplir leur mission essentielle à la civilisation canadienne. Et cette mission n'est pas seulement d'enseigner la vérité mais d'approfondir et de faire avancer par les études et la recherche toutes les disciplines qu'elles sont appelées à enseigner.
Il est un autre fait non moins certain. En même temps que le développement rapide de notre pays requiert plus de citoyens formés dans les universités, le nombre augmente aussi des jeunes gens bien doués pour ces études et que leur famille est incapable d'envoyer ou de maintenir à l'université pendant plusieurs années. Disons tout de suite que l'aide aux étudiants, si généreuse soit-elle, ne dispense pas de l'aide aux universités; car il n'est aucune université qui puisse se maintenir et progresser avec les seuls revenus qu'elle reçoit des étudiants.
L'idéal serait que chacune des provinces puisse répondre adéquatement à ce double besoin puisque ce sont elles qui ont dans notre pays la mission immédiate de suppléer les parents dans l'éducation des enfants et des
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futurs citoyens. Et si les provinces ne peuvent suffire, pourquoi l'État fédéral ne leur viendrait-il pas en aide en leur accordant un subside spécialement destiné à l'éducation, mais administré exclusivement par les provinces.
D'autres formules plus souples peut-être, sauvegarderaient aussi, nous en sommes convaincus, l'autonomie des provinces en matière d'éducation et surtout l'autonomie dont ont besoin les universités pour remplir leur mission. L'important ici est la bonne éducation de citoyens.
Quoiqu'il en soit, l'Acelf croit que
- l'on doit augmenter de beaucoup les octrois de recherche dans le domaine des humanités et de la philosophie. On sait le rôle fondamental que jouent ces disciplines dans la formation secondaire surtout des citoyens canadiens français et tous admettent que ce fait est une grande richesse pour toute la nation. Or ces disciplines ne peuvent jouer efficacement leur rôle bienfaisant vis-à-vis de la culture canadienne française si dans les universités de langue française en particulier, on ne renouvelle sans cesse leur enseignement par les études approfondies et les recherches des maîtres et des disciples les plus brillants. Ces études sont longues et quelquefois dispendieuses si l'on doit aller à l'étranger, et elles ne conduisent jamais à des emplois lucratifs. Pourtant un peuple cultivé ou qui veut l'être ne peut pas s'en passer;
- de grandes facilités doivent aussi être offertes à ceux qui désirent se spécialiser, au point d'y consacrer leur vie, dans les sciences politiques, économiques, sociologiques et pédagogiques;
- le gouvernement canadien doit encourager nos meilleurs écrivains, au moins par une large distribution à ses frais de leurs ouvrages dans touts les pays du monde, par l'intermédiaire de ses ambassades et des ses consulats. Quelle splendide façon de faire connaître notre pays!
- Les universités doivent disposer librement de sommes plus considérables destinées à intensifier leur programme d'éducation populaire et d'éducation
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des adultes. À la base de cette éducation populaire, il doit y avoir l'étude scientifique des traditions du peuple canadien telle que la propose pour le peuple canadien français le mémoire présenté par les Archives de Folklore de l'Université Laval;
- des dispositions favorables doivent êtreprises en ce qui concerne les impôts, vis-à-vis des entreprises privées et des citoyens fortunés qui seraient prêts, moyennant cette faveur, à accorder de forts octrois de recherches aux universités;
- des bourses permettant aux gradués de nos universités d'aller poursuivre leurs études à l'étranger doivent être augmentées en nombre et en valeur dans toutes les disciplines, spécialement dans les humanités, la philosophie et les sciences sociales. L'envoi de nos meilleurs étudiants à l'étranger est un excellent moyen de nous faire mieux connaître et apprécier;
- des bourses semblables doivent aussi être offertes aux étudiants des autres pays afin qu'ils puissent venir poursuivre des études supérieures dans nos universités. On pourrait obtenir facilement de ces pays qu'ils nous offrent eux-mêmes des bourses pour nos étudiants. La présence au Canada d'étudiants étrangers choisis parmi les plus brillants, serait aussi une excellente propagande dont nous avons besoin;
- des bourses d'échanges interprovinciaux doivent être instituées afin que des gradués d'université d'une province puissent aller poursuivre leur spécialisation ou leurs recherches dans une université d'une autre province. Ces échanges favoriseraient le rapprochement nécessaire et l'enrichissement de nos deux cultures, s'ils s'effectuaient entre étudiants de langue française et étudiants de langue anglaise. Ils contribueraient aussi puissament au développement de la culture canadienne française, en assurant mieux sa survivance dans le Canada tout entier, s'ils permettaient à des jeunes gens d'expression française mais vivant
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dans des provinces à majorité anglaise, de venir poursuivre des études avancées dans l'une ou l'autre de nos universités françaises. L'expérience des cours d'été de l'Université Laval permet d'insister sur l'urgence et l'efficacité de tels échanges;
- [sic - i.e., 9 - Ed.] un dégrèvement d'impôts doit être accordé aux parents qui maintiennent aux études leurs enfants qui ont atteint l'âge de 21 ans.
5. Notre représentation culturelle à l'étranger
Beaucoup de pays sont présentement très sympathiques au Canada. Ils le sont quelquefois sans trop savoir pourquoi et sans nous connaître.
N'est-il pas urgent de fonder davantage cette heureuse sympathie, qui autrement pourrait bien être éphémère. Nous devons faire mieux connaître à l'étranger non seulement nos ressources naturelles mais surtout nos richesses culturelles.
- L'un des moyens serait d'ajouter à notre représentation diplomatique qui commence à prendre de l'importance une représentation proprement culturelle reflétant bien notre double culture.
- La constitution d'un comité national de l'UNESCO semble aussi s'imposer, même si elle est difficile à réaliser. De même, l'envoi aux réunions de l'UNESCO de délégations compétentes comprenant bien et maîtrisant suffisamment la richesse de nos deux civilisations.
- Enfin, le Canada spirituel aurait plus de chance de rayonner si nos sociétés savantes et nos grands spécialistes pouvaient prendre une plus large part aux congrès internationaux qui ont lieu dans toutes les disciplines et à la vie des associations scientifiques internationales.
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6. Conseil national des arts, des lettres et des sciences
Il serait sans doute désirable qu'un Conseil national des arts, des sciences et des lettres soit formé pour voir à l'exécution ordonnée et continue des mesures que le gouvernement adoptera sûrement à la suite des recommandations formulées par la Commission royale d'enquête.
Dans la formation de ce Conseil, on devra sauvegarder les prérogatives des provinces en matière d'éducation et respecter intégralement la dualité culturelle de notre pays. On devra aussi faire appel à la collaboration des universités et des sociétés culturelles d'envergure nationale déjà existantes et qui ont beaucoup contribué au développement de la culture canadienne.
Mgr Alphonse-Marie Parent, P.D., Président de l'A.C.E.L.F.
N.B. D'autres recommandations et suggestions auraient sans doute pris place dans ce mémoire si le texte avait pu être soumis à temps à tous les membres du Comité exécutif de l'Acelf. Ils en prendront connaissance le 21 janvier, date de la prochaine réunion. Si des additions ou amendements substantiels y étaient adoptés, on nous permettra bien de les transmettre aux distingués membres de la Commission royale. A.-M. P.
*From: Association canadienne des éducateurs de langue française. Mémoire soumis à la Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada. [Ottawa : l'Association], January 1950. [2], 11 l. By permission of the Privy Council Office.
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